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Photo du rédacteurClaudine Deslandres

QVT, SBF, CHO... et si on parlait vrai ?


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Environ 300 personnes ont assisté à la conférence animée par Laurence Vanhée à Évreux le 9 février : une conférence bien conduite, animée avec beaucoup de professionnalisme ainsi que de fraîcheur et très bien accueillie par le public, dans le cadre des rencontres Eure du Business.

Bonheur + travail = deux concepts qui pourtant semblent a priori bien éloignés !

L'entreprise serait-elle devenue le lieu où le collaborateur vient chercher son bonheur ? Ou bien s'agit-il de Qualité de Vie au Travail ? de Plaisir au travail ? Les principes de management participatif sont-ils adaptés à n'importe quelle organisation, sont-ils bénéfiques pour tous les salariés ? Quel rôle est celui des CHO, les fameux Chief Happiness Officer ?

Que du bonheur !

En préambule : ce thème des alternatives au management "classique" me tient à cœur.

Je saisis toutes les opportunités de me documenter sur le sujet, je reste encore sous l'influence (sous le charme !) de la lecture de L'Entreprise Consciente, l'excellent ouvrage de Fred Kofman - un livre remarquable écrit dans un esprit humaniste ni gnangnan ni intello - je conserve en tête la notion de RIESE que développe Yannick Roudault dans la Nouvelle Controverse, je me réjouis que les théories d'Isaac Getz soient mises en application avec succès dans des entreprises dites "libérées" et je peaufine actuellement l'atelier "nouveaux modes de gouvernance" que je propose d'animer à Rouen le 16 mars...

Donc j'ai accouru à cette conférence ! Et, pour résumer le propos :

Laurence Vanhée nous relate comment elle a été engagée comme directrice des ressources humaines au ministère de la sécurité sociale en Belgique, nous décrit la situation qu'elle y a trouvée et comment elle a révolutionné le management en plaçant l'humain au cœur de l'entreprise.

Au vu des résultats spectaculaires obtenus, Laurence a été élue DRH de l'année 2012 en Belgique. Désormais elle se présente comme CHO : Chief Happiness Officer* et affirme que son métier ne repose pas sur la gestion des ressources humaines, mais sur la confiance et le développement du patrimoine humain, assorti d'initiales "RH" signifiant "Rendre Heureux".

*Chief Happiness Officer = CHO = "Directrice du Bonheur", en quelque sorte.

Mais comment ?

Les principales étapes du plan d'actions mené par Laurence et son équipe, face à une situation alarmante à son arrivée (démotivation des collaborateurs, manque d'intérêt pour rejoindre ce ministère, difficultés rencontrées sur le terrain, absentéisme, lourdeur et lenteur etc) :

  • en partant du constat que certains bureaux sont peu occupés, d'autres sur-occupés : repenser l'espace, redessiner les bureaux, prévoir uniquement 7 postes de travail pour 10 collaborateurs par exemple et inciter au télétravail

  • mobiliser l'intelligence collective sous toutes ses formes pour élaborer des solutions créatives, sortir du cadre

  • réduire les résistances au changement et innover

  • dépasser les "on a toujours fait comme ça", simplifier

  • suivre la piste du bon sens

  • faire en sorte que les décisions ou les documents restent Sexy, Simple, Short, Sustainable, Straight to the Point*

  • faire appel à la responsabilité et à la liberté de chacun afin de favoriser l'autonomie

  • lâcher le contrôle au profit de la confiance

* Sexy (inutile de traduire, n'est-ce pas), Simple, Court, Durable, Direct

Par exemple, le "bonheur au travail" est ici représenté à l'intersection de trois domaines :

- là où je suis compétent

- là où mes actions sont efficaces pour l'objectif commun

- là où j'ai du plaisir à effectuer ces actions

Le malheur au travail ?

Mais alors, s'il existe des postes de CHO dont la fonction principale affichée serait de répandre le bonheur au travail, existe-t-il un "malheur" au travail ?

Nous sommes capables de citer quelques organisations dans lesquelles il fait bon vivre... mais hélas chacun d'entre nous connaît aussi des entreprises dans lesquelles il ne fait pas bon travailler.

Le management "vertical" peut être ressenti comme contraignant, engendrer des comportements inadaptés de la part de managers s'ils ne sont pas formés ni accompagnés (peut-être se sentent-ils eux aussi "malheureux" en quelque sorte) et de petits ou grands dysfonctionnements qui nuisent à l'engagement : les collaborateurs peuvent se sentir inquiets, un peu perdus, mal considérés, infantilisés ou désabusés voire carrément révoltés et avoir tendance à :

  • résister au changement

  • bloquer les propositions, ralentir les processus par inertie voire sabotage

  • brider leur créativité, limiter leur champ d'action

  • obéir sans réfléchir ! limitant ainsi les possibilités d'amélioration des process

  • s'absenter apparemment sans cause médicale sérieuse (mais en éprouvant un malaise et mal-être réels, à prendre très au sérieux..)

  • effectuer le minimum requis

  • concentrer leurs pensées sur les problèmes plutôt que de concentrer leurs efforts sur les solutions...

Voici les résultats spectaculaires obtenus par les actions conçues en mode collaboratif au ministère :

- augmentation de la productivité

- diminution des coûts (énergie, maintenance...)

- ralentissement du turn-over

- meilleure implication des femmes

Changements de paradigme

Épatée par l'énergie positive de la conférencière ainsi que par l'efficacité des dispositions qui ont en quelque sorte "libéré" le ministère belge de la Sécu, je me posais tout de même quelques questions.

J'ai travaillé autrefois dans une entreprise où les locaux étaient organisés ainsi : des bureaux individuels (pour les cadres) ou bien collectifs à deux ou trois personnes (pour les autres) distribués de part et d'autre de couloirs répartis sur deux ailes et quatre étages.

Évidemment, aujourd'hui cela apparaîtrait comme gourmand en espace, en énergie nécessaire, en maintenance etc, cependant à l'époque cela représentait des avantages : travail en équipes restreintes et dédiées à certaines tâches, bonne concentration, bonne confidentialité - et la circulation de l'info restait toutefois fluide entre les services.

Au fil des années : les équipements se sont modernisés, puis miniaturisés. Depuis les premiers radiotéléphones, les premiers ordinateurs portables, jusqu'à l'apparition d'internet, tout s'est accéléré et hop ! les premiers SBF sont apparus. Dans certaines organisations, les plus jeunes arrivés disposaient d'un caisson (fermé à clé dans le meilleur des cas) et voilà.

Puis, les équipes ont été mélangées, et projetées parfois sans préparation dans d'immenses espaces de travail ouverts : les collaborateurs se sont trouvés exposés d'un seul coup à la nuisance du bruit ambiant, perplexes quant à l'absence de règles claires, irrités par des interruptions incessantes (on n'interrompt pas un collègue quand il est au téléphone, ce n'est pas parce qu'un collègue est visible qu'il est disponible etc), gênés par une proximité imposée de façon inélégante, noyés jusqu'à l'asphyxie par une information trop abondante et éparpillée, encombrés de courriels sans indication quant aux solutions pour les gérer... d'où le déploiement de protections aussi nécessaires que dérisoires et qui contribuent à instaurer un certain isolement à défaut de restaurer une certaine intimité (écouteurs vissés sur les oreilles, dispositifs de privacy screen) ou de comportements défensifs générés par l'inquiétude (accumulation exagérée de courriels). Conséquences ? la dispersion, la perte de visibilité quant aux priorités, la dilution de la concentration... donc le ralentissement de la productivité.

Je me remémore ces changements accueillis avec plus ou moins d'enthousiasme, les difficultés qu'il a fallu résoudre et les résistances qu'il a fallu dépasser pour ressentir les bénéfices de ces prémices de mode de travail collaboratif, et je me dis que : si les entreprises avaient mieux préparé ces modifications, elles auraient été mieux vécues. Lorsque les collaborateurs sont centrés sur ce qu'ils risquent de perdre (du confort, de la tranquillité, des habitudes, de la confidentialité etc) ils se sentent en insécurité et ne peuvent pas se projeter vers ce qu'ils ont à gagner de ces nouvelles situations - et encore moins participer activement à leur conception ni à leur mise en œuvre !

Aujourd'hui, je fais partie des indépendants qui se sont approprié pour leur plus grand bénéfice et avec un vrai plaisir les outils, les espaces et les réseaux qui leur facilitent la vie professionnelle : ordinateurs tablettes et smartphones, applications qui procurent une liberté et une productivité phénoménales, tiers-lieux, espaces de coworking, véhicules ou appareils partagés, cercles de pairs, réseaux professionnels "en ligne" ou bien rencontres dans la vraie vie, partage de connaissances, modes de pensée et de travail collaboratifs : ce qui était inenvisageable voici encore 15 ans s'avère efficace, et tellement plaisant ! parce que totalement choisi... pas subi !

Les sans-bureau fixe

Nomadisme, télétravail, open space : quelles limites ?

Le lendemain de cette conférence, en écoutant France Inter je tombe par hasard sur un sujet qui mentionne les SBF : il y est question... de souffrance au travail ! et pourtant, on retrouve les mêmes ingrédients que ceux présentés sous un aspect bénéfique la veille au soir :

  • sous-dimensionner le nombre de places de travail par rapport au nombre de collaborateurs

  • inciter au télétravail

  • dématérialiser le maximum de documents

  • exiger une souplesse, une agilité, une implication de tous, partout et constamment

Quel bénéfice pour l'organisation ?

Réduire les coûts de la surface des locaux et ceux induits par leur maintenance.

Quelles conséquences pour les collaborateurs ?

On constate des effets indésirables chez les collaborateurs, qui ont tendance à mal vivre le fait de ne pas avoir de place attitrée - parfois pas de place du tout s'ils arrivent un peu tard ! Au-delà de la perte de confort, certains ont la sensation de perdre leurs repères (repères spatiaux, repères visuels, repères dans le temps) , ils tentent de compenser en mettant en place des stratégies protectrices (réserver des salles de réunion, tenter de se réserver l'usage de certains bureaux) et cela nuit à leur capacité de travailler correctement.

Pour un itinérant, un indépendant, le bénéfice est évident : le fait de pouvoir travailler depuis chez soi, depuis un tiers-lieu entre deux rendez-vous, téléphoner depuis sa voiture (à l'arrêt bien entendu), bâtir sa présentation PowerPoint dans le train : quel gain de temps ! quelle fluidité !

Le fait de ne pas avoir de place attribuée au siège de l'entreprise ne pose aucune problème quand on peut poser son ordinateur portable là où il y a une place vacante dans l'open-space.

Cependant, quel serait le bénéfice pour un employé de bureau sédentaire, missionné pour une tâche précise, de changer de place tous les jours ?

Des chercheurs suédois ont constaté en 2013 qu’il y a davantage d’arrêts maladies chez ceux qui travaillent en open-space que chez ceux qui ont un bureau fixe. En moyenne on passerait, selon ces scientifiques, de 5 à 8 jours d’arrêts par an.

Le risque :

accroître le stress, accentuer la fatigue et renforcer davantage la résistance au changement.

Responsabilité + liberté : cocktail détonant ?

Lorsque l'organisation décide de solliciter l'implication et la créativité de ses collaborateurs : pour certains, cela provoque un sursaut qui les libère et leur donne le goût de l'autonomie... alors que d'autres s'en trouvent tétanisés.

L'un de mes clients, dans l'intention de faire progresser ses employés, les incitait à exprimer leur créativité. Avec certains, cela fonctionnait... mais d'autres ne formulaient pas de nouvelle proposition, ce qui provoquait en lui incompréhension et découragement.

Eh oui ! certains salariés apprécient de recevoir des directives simples et claires - ceux-là figurent souvent parmi les collaborateurs les plus fiables, les plus engagés, ceux qui sont capables de produire des résultats au-delà des objectifs - et n'attendent pas de leur patron qu'il les challenge sur leurs capacités d'innovation... ils attendent de leur boss qu'il leur indique la direction... et lorsqu'on leur demande de devenir force de proposition, cela les met en difficulté (zut, on me demande un truc imprécis, mais quoi au juste) ils n'y voient plus clair et se sentent en insécurité... et déçoivent leur, malgré eux !

Parallèlement, les contours des missions deviennent parfois plus flous. Lorsque la "définition de poste" est devenue une étape obsolète, lorsque les missions ne sont plus découpées en tâches successives dont chacune nécessite la mise en œuvre d'une compétence spécifique donc d'un collaborateur différent, lorsque la technologie permet des raccourcis impressionnants et place les compétences quasiment en accès libre : où placer les limites, puisqu'elles sont devenues poreuses ? La tendance est à l'adaptabilité et à la souplesse... or, certaines personnes sont déboussolées par cette exigence de polyvalence qu'ils n'ont ni l'envie ni la capacité d'acquérir - tout le monde n'est pas capable de se plier en quatre.

D'autres au contraire se sentiront brimés si leur boss ne leur permet pas une grande marge de manœuvre et concevront de la frustration si leurs capacités innovatrices n'ont pas la place de s'exprimer. Ceux-là s'épanouiront totalement quand on aura chatouillé leur responsabilité (atteindre un objectif défini) en délimitant un cadre large (liberté) tout en les autorisant à choisir ou concevoir la voie qu'ils préfèrent (autonomie) pour l'atteindre.

Et le plaisir dans tout ça ?

Bon, alors : l'organisation serait censée devenir l'espace où on se trouve en sécurité, le lieu dans lequel on socialise et s'épanouit, le travail nous apporterait apprentissage et progrès...

Le bonheur, quoi ?

Le bonheur ...

est-ce un état d'esprit ?

une succession de sensations fugaces de bien-être ?

une satisfaction installée de façon durable ?

la quête de toute une vie ?

Les notions de "plaisir", de "joie", me semblent davantage accessibles sur le lieu de travail - ou plutôt devrais-je écrire dans les conditions de travail, puisque le lieu même dans lequel nous exerçons nos activités professionnelles rémunérées peuvent revêtir des réalités bien différentes selon les circonstances.

Depuis quand l'entreprise serait-elle chargée de nous procurer du bonheur ? Si le bonheur correspond au fait que nous puissions obtenir de la reconnaissance inconditionnelle positive, alors ce n'est pas à l'entreprise de nous procurer cela : les signes de reconnaissance inconditionnelle sont du ressort de la sphère privée, de notre famille, de nos amis, nos amoureux : ceux que nous aimons, sans condition, sans contrat, par choix et libres de tous engagements.

Entre une organisation et son collaborateur est établi un contrat de travail. Une mission, des tâches, une fonction... même si l'entreprise est dite "libérée" : un cadre est défini, dans l'espace duquel chacune des deux parties reconnaît ses droits et ses obligations. L'employé convient de s'acquitter de la mission ou des actions qui lui sont imparties, dans l'intérêt de procurer du bénéfice à l'organisation qui en échange le rémunère pour ce service. Où donc se situe la reconnaissance inconditionnelle là-dedans ?

En ce qui concerne la reconnaissance conditionnelle, son mode d'emploi est assez simple :

  • la mission est remplie ? les tâches sont correctement effectuées ? les actions concourent à remplir l'objectif commun (le bénéfice de l'organisation) ? alors le collaborateur obtient la reconnaissance conditionnelle positive ; si l'employeur est correct il le fait savoir (et si l'employeur est sympa il offre un petit quelque chose en plus - et pourquoi pas quelque chose d'immatériel ou de festif qui va procurer de la joie)

  • la mission n'est pas remplie, les tâches ne sont pas effectuées (ou pas correctement ou en retard) ? alors le collaborateur obtient la reconnaissance conditionnelle négative (et si l'employeur est intelligent, il la formule de manière à faire prendre conscience de la progression à effectuer tout en soulignant les points forts déjà acquis).

Les signes de considération (considération pour le simple fait que le collaborateur est une personne humaine qui a autant de valeur qu'une autre) ou de respect (admiration pour les compétences spécifiques par exemple) ont ici toute leur place.

La convivialité aussi : célébrer les succès, s'orienter vers les projets futurs dans la joie, avec des occasions ludiques ou festives, pourquoi pas !

Cependant, en ce qui concerne les signes d'affection : je ne crois pas qu'il soit du ressort de l'organisation de les procurer. Ce sont nos proches qui nous entourent d'amitié ou d'amour, et le plus extraordinaire est qu'ils puissent le faire sans que cela soit lié à une condition de réussite d'un objectif ou d'un projet commun.

L'amour est gratuit.

Le bonheur est en accès libre.

Il me semble que ce n'est pas le rôle de l'entreprise de procurer du bonheur à ses salariés.

L'enjeu de l'entreprise est de rester rentable, de réaliser du profit, et l'entreprise a bien compris qu'un salarié heureux s'avère :

  • 2 fois moins malade

  • 6 fois moins absent

  • 9 fois plus loyal

  • 31% plus productif

  • 55% plus créatif

Lorsque l'organisation se contente de rationaliser l'espace de travail, de moderniser les process et les équipements en oubliant de placer l'humain au cœur de l'évolution : il lui sera difficile de remporter l'adhésion des collaborateurs et il est vraisemblable qu'elle va accroître les difficultés. Un changement de paradigme se prépare, il ne s'impose pas brutalement... il convient de modifier les mentalités des dirigeants afin qu'ils puissent à leur tour lâcher prise... l'accompagnement d'un professionnel est vivement recommandé ! L'erreur serait de nommer un CHO en restreignant son champ d'action à des mesures "cosmétiques" (installer un baby-foot ou distribuer les chouquettes) car cela ne suffirait pas à compenser le sentiment d'insécurité, la crainte de perdre son emploi ou l'incompréhension de directives floues, par exemple.

Mais si l'entreprise tente de déployer les efforts pour procurer à ses collaborateurs les conditions de travail les plus agréables possibles, de favoriser leur apprentissage, leur épanouissement intellectuel et pourquoi pas leur condition physique, de leur faciliter l'accès à la connaissance et aux responsabilités, de les placer en autonomie sans les mettre en difficulté, de faire en sorte qu'ils éprouvent du plaisir à accomplir des tâches qui soient valorisées, dans une ambiance saine et joyeuse : cela permettra au collaborateur de se sentir libre d'aller chercher lui-même son bonheur !

D'autres articles sont parus depuis que j'ai rédigé ce post :

Courrier Cadres mars 2019 : le bureau individuel et statutaire a-t-il encore de l'avenir Un coach professionnel est à même d'accompagner les changements en entreprise.

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